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Laisse pleurer la pluie sur tes yeux de Valérie Valère

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Laisse pleurer la pluie sur tes yeux de Valérie Valère

 

Il y a des livres qui demandent au lecteur d'être pugnace, un peu comme sur certaines plages, qui exigent que le nageur passe la première barre de vagues pour nager avec bonheur dans l'océan, car l'auteure de « Laisse pleurer la pluie sur tes yeux » inflige au lecteur durant les quarante premières pages, la description de la grosse déprime de son héros, Yan, 20 ans. Ce dernier est un étudiant nécessiteux qui vit dans une sordide chambre de bonne sise dans un immeuble se trouvant près du métro Pasteur, un quartier qui n'est pas un des plus déshérités de Paris. Il se terre dans son antre depuis qu'il se pose des questions sur la finalité de ses études et qu'il fuit sa mère possessive.

Cette description d'une dépression adolescente sonne juste, mais par exemple celle de Pérec dans « L'homme qui dort » également avec des moyens littéraires d'une toute autre altitude. Dans le cas présent on peut se demander qui peut avoir envie de lire cela. Mais peut être que se pose à mon encontre, dans ce cas précis, un problème de la sociologie du héros. Je réitère l'idée que pour qu'il y ait empathie du lecteur envers un héros, à l'exception faite si l'auteur est un génie littéraire de la trempe d'un Céline, d'un Proust ou d'un Flaubert, il faut que le lecteur ne soit pas totalement étranger sociologiquement avec les personnages du roman qu'il lit. Cela étant particulièrement valable pour des récits se déroulant grosso modo à notre époque. Et je doit avouer que je n'ai jamais eu à choisir, en tant qu'étudiant ou plus tard, entre acheter une place de cinéma ou un steak. Et je n'ai guère envie de me trouver projeter, même par mots interposés dans une turne qui doit empester le tabac froid et le slip douteux...

<< Et de nouveau, j'ai poussé la porte de mon sanctuaire. Un lit défait, une table jonchée de livres et de feuilles, une odeur de renfermé et une atmosphère de désespoir, voilà mon unique refuge.

Mon corps, vidé de sa belle énergie, se traîne d'un mur à l'autre, mes pensées, reprises par leurs barreaux, tournent autour du point d'interrogation sans espoir de le faire disparaître. Résignée, j'enlève mon blouson, reste pantelante au milieu de la pièce, incapable de réfléchir.

Je scrute mes mains, me gratte la tête, soupire, arrache mes ongles... Je fais trois pas, m'assieds devant la table, me relève, soupire à nouveau, observe mes pieds. Et les images de mon horrible scénario se pressent autour de moi : elles veulent m'anéantir.

Elles peuvent toujours essayer, je m'en moque, on ne détruit pas les êtres déjà mort. >>

Comment dans sa piaule se lave notre Yan?. Voilà le genre de question que je me posais, commençant à me lasser de la description des malheurs du garçon; je me demandait aussi, le livre ayant été publié en 1987 et probablement écrit plusieurs années auparavant, l'auteure est décédée en 1982 à 21 ans*, si une telle complaisance dans le malheur, un tel renoncement au monde serait toujours possible à l'ère des téléphones portables, ordinateurs, réseaux sociaux variés et autres G.P.S.? Page 55 nous apprenons que nous sommes en 1979.

J'en étais là de mes cogitations et m'apprêtais à lâcher l'affaire, malgré un style non dénué d'intérêt qui avec ses phrases courtes et ses rabâchages obsessionnels m'a fait un peu penser à celui de Duras, quand, O miracle, voilà que notre yan est littéralement séché sur le trottoir par l'apparition d'un ange de son sexe, en fait un adolescent dégingandé aux boucles folles de 14-16 ans selon son évaluation. Yan est submergé par cette beauté. Le lecteur est encore plus pris au dépourvu que le héros, car rien dans ce que nous disais Yan, le texte est écrit au masculin à la première personne, c'est une sorte de monologue intérieur, jusqu'à cette formidable intrusion laissait penser qu'il avait de tels goûts, d'autant que c'est le départ de sa meilleure amie pour l'Allemagne de l'est (en 79, il fallait vraiment être pervers pour rêver de l'Allemagne de l'est) qui a déclenché la grosse déprime de notre étudiant en philosophie. A la lumière de ce coup de foudre aussi soudain qu'inattendu on peut penser que la relation avec cette jeune donzelle épris du paradis de Walter Ulrich n'était qu'une manière inconsciente de fuir ses pulsions homosexuelles.

Je suis obligé, arrivé à ce stade de la recension de ce roman, de faire une incise ayant pour sujet un épisode de ma vie, non que mon existence présente un quelconque intérêt, mais pour montrer, une fois de plus, que la lecture d'un roman ne se fait pas hors sol, loin de toutes contingences. En effet il m'est arrivé exactement ce qui se passe pour Yan. Au début des années 80, j'ai été, moi aussi, subjugué par l'apparition d'un garçon (il avait 19 ans mais sa belle étrangeté faisait qu'il était difficile de lui donner un âge) sur un trottoir de la banlieue où j'habitais alors. D'ailleurs les habitués du blog l'on croisé puisque j'ai eu ensuite le loisir de le photographier, mais c'est une autre histoire... (inutile de m'en demander plus, je resterai muet comme une carpe à ce sujet.).

Lui aussi préoccupé de sa beauté qui faisait comme un écran à son être véritable, c'est du moins ce qu'il pensait, me disait des choses comme celles là:

<< C'est pas marrant d'être beau en fin de compte. Bien sûr, ça t'aide à se sentir bien dans ta peau mais les autres, eux, ne regarde que ta gueule et tu finis par avoir l'impression qu'à l'intérieur de toi il n'y a rien, rien que le vide. Ils n'écoutent même pas ce que tu dis, ils te jaugent, te soupèsent, te notent et finissent par te détester ou par t'enfermer dans ce seul adjectif: « beau ».>>

Or donc je suis en mesure d'apprécier l'exactitude de la description des affres de Yan dans la crainte de ne plus revoir la merveille qui l'a soustrait à sa torpeur mortifère. C'est parfaitement observé. C'est tellement confondant que plus de trente ans plus tard, ce chapitre m'a fait revivre les beaux hier de jadis, ce qui n'est pas une expérience ni courante, ni banale même pour un gros lecteur. J'ai ainsi éprouvé, et je suis bien conscient de n'être pas le seul ce que décrit le passage suivant:

<< L'adolescent passe et votre vie s'écrase sur le sol gris d'un trottoir indifférent, l'adolescent passe et vous devenez un étranger en exil qui meurt et renaît indéfiniment, l'adolescent fuit et votre solitude qui un moment avait disparu vous reprend avec un peu plus de cruauté... Et celui qui ne faisait que passer, celui pour qui vous êtes mort n'a pas écouté la voix de votre espoir, ni d'ailleurs de votre désespoir...>>

Au bout de quelques pages sur les angoisses qu'a Yan de ne jamais revoir l'ange, peut être salvateur, j'ai vu dans « Laisse pleurer la pluie sur tes yeux » une transposition de « Mort à Venise » dans le XIV ème arrondissement de Paris, la géographie parisienne est très présente; car Yan, tout comme Gustav von Aschenbach dans la nouvelle de Thomas mann, a le sentiment de son inutilité au monde, d'être à la fin (prématurée pour l'étudiant de 20 ans) de son parcours. On peut également se demander aussi si cet ange adolescent n'est pas que le fantasme né du cerveau malade de Yan...

Puis aux alentours de la page 80, le roman connait une nouvelle inflexion. Ne comptez pas sur moi pour vous dire si Yan est mort d'inanition sur un trottoir de Paris en songeant à son ange, comme Gustav a trépassé sur la plage du Lido avec comme dernière image mentale celle du beau Tadzio... Ou encore si Yan partira pour cythère et s'enverra en l'air avec son ange... J'ai envisagé également, à un moment de ma lecture si cette histoire n'allait pas ressembler au moyen métrage de Jacques Duron, « Le voyage à Deauville » qui doit être à peu près être contemporain de l'écriture de ce roman...

Je ne savais rien de l'auteur de ce roman, sinon le peu que m'en avait dit Bruno (fidèle lecteur et contributeur du blog) que je remercie de me l'avoir fait connaître ce roman. Depuis je me suis renseigné sur Valérie Valère et la toile s'est montrée fort bavarde à son sujet, ce dont je ne me plains pas. Ainsi j'ai compris que la description de l'état dépressif de Yan était entièrement autobiographique et était la transposition du mal vivre de l'auteure. Comme était tirée de la vie de la romancière, la mésentente de Yan avec sa mère.

Ne voulant pas déroger à une règle que je me suis toujours imposée dans mes textes de critiques littéraires, (mots bien pompeux j'en conviens pour mes articulets) qui est ne ne pas déflorer l'intrigue d'un livre pour ne pas gâcher le plaisir du futur lecteur, car si vous ne l'aviez pas encore compris mon but principal est en vous faisant partager mes considérations, souvent oiseuses, sur les livres que j'ai aimés, de vous inciter à les lire. Pour cette raison vous trouverez que très peu de critiques entièrement négatives sur ce blog. Or donc je suis gêné pour vous expliquer le fait que la deuxième partie du roman, qui est d'une toute autre couleur que la première, paraitra peu crédible à des jeunes lecteurs alors qu'elle est tout à fait plausible en 1979. Je vous demanderais donc de me croire sur parole d'autant qu'il m'est arrivé une histoire assez semblable...

Mais je n'ai jamais pensé à l'homosexualité comme une fuite vers l'ailleurs, ce qui est une proposition aussi détonante qu'originale du roman.

Ce livre est précieux car il restitue une parole adolescente, un ton et des postures si fugitives que même les jeunes adultes ne savent plus les restituer. L'extrait ci-dessous m'en paraît être une bonne illustration:

<< Les rêves,ça t'aide à supporter l'absence.Mais si tu rêves pendant que l'autre est là,c'est comme si tu voulais qu'il n'existe que dans ta tête.Et moi,je ne suis pas un personnage idéal,je ne veux pas avoir à deviner tes rêves pour en copier le modèle.Je suis comme toi et ce n'est pas parce que je suis beau que je suis parfait.Ni parfait, ni heureux, ni rien du tout...seulement moi...et moi tu ne peux pas me connaître autrement qu'en m'écoutant.Faut se méfier des rêves,quelquefois ils t'empêchent de vivre... >>

On voit ainsi que ce livre, en particulier par les passages sur l'incapacité qu'a le héros à dépasser le présent et les dialogues entre les protagonistes ne peuvent être écrits que par un adolescent, qui est une adolescente en l'occurrence. On peut supposer l'action étant situé en 1979 que cela correspond à la date d'écriture du livre. Valérie Valère avait alors 18 ans...

Je crois qu'il ne faudrait pas oublier lorsqu'on lit « Laisse pleurer la pluie sur tes yeux » que ce roman n'a pas été publié du vivant de l'auteur et que c'est son éditeur Christian de Bartillat qui avait auparavant publié tous les livres de Valérie Valère. Il précise dans une courte note d'éditeur, placée en avant propos, qu'il a laissé le roman en l'état, << dans sa spontanéité et sa jeunesse qui lui donne sa vrai réalité.>>. On ne peut que louer la justesse des propos de Bartillat et sa déontologie d'éditeur. Mais on peut surtout se demander pourquoi Valérie Valère n'a pas voulu le faire paraître de son vivant? D'après un site le livre aurait été refusé par Stock qui était l'éditeur des premiers texte de Valérie Valére mais mais Bartillat avait alors quitté la maison. Son texte est plus achevé que celui bien des livres qui paraissent aujourd'hui. « Laisse pleurer la pluie sur tes yeux » aurait seulement gagné à être densifié en coupant dans la première partie certains monologues dépressifs de Yan.  

Même si je pense que l'on peut lire un roman donné à tout âge, n'importe où et dans n'importe quelle condition, il me semble qu'il y a des âges et des états plus propices que d'autres pour appréhender une oeuvre. Ainsi pour « Laisse pleurer la pluie sur tes yeux », il pense que ce roman par son romantisme parlera plus à un adolescent, qu'à un vieux birbe comme moi...

 

 

 

* Si vous allez à cette adresse: http://fr.wikipedia.org/wiki/Valérie_Valère vous saurez presque tout de la triste destinée de cette auteure. Sur un autre site sur lequel il ne faut pas mettre son esprit critique dans sa poche, on peut lire entre les lignes comme une contre biographie: http://tobydammit.over-blog.org/categorie-10248931.html 


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