Quantcast
Channel: Le blog des diagonales du temps
Viewing all articles
Browse latest Browse all 2558

Le soldeur de Michel Field

$
0
0
Le soldeur de Michel Field

 

Michel Field est mon ex-Trotskyste préféré. Je goute particulièrement chez lui ses talents de meneur de débats. Même quand il est loin de l'opinion de ceux dont il doit encadrer les joutes, il le fait toujours avec un respect qui n'empêche pas une certaine goguenardise de celui à qui on ne l'a fait plus. Les plateaux où il doit modérer les vitupérants souriants que sont Olivier Duhamel et Alexis Bréset sont de beaux moments de télévision. En revanche j'ignorais qu'il put s'adonner à l'écriture romanesque et qu'il aimait autant les livres même si je me souvenais qu'il avait animé une émission littéraire, ce qui ne veut pas dire qu'on aime les livres ni même qu'on en lit, ainsi cet ouvrage qui pourtant ne balance pas trop, nous apprend que non seulement PPDA n'écrivait pas les livres qu'il signe mais qu'également il ne lit pas les ouvrages qu'habrite son imposante bibliothèque d'apparat. 

Le soldeur de Michel Field

« Le soldeur », un assez mauvais titre, est avant tout un hymne à l'amour des livres, ces compagnons silencieux et pourtant encombrants. Ceux qui, comme le narrateur, qui est à coup sûr, une transposition de l'auteur (ridiculement misérabiliste quand on sait que Field est un des journalistes les mieux payés de Paris, mais certes, il y a les pensions alimentaires...), partagent difficilement leur espace vital avec leurs livres se reconnaitront dans la voix du narrateur de ce roman, qui n'en est pas un, mais aujourd'hui à peu près tous les livres qui paraissent sont baptisés ainsi...

Si le prétexte romanesque est mince il est néanmoins habile. Le narrateur qui n'a ni nom, ni prénom, la soixantaine d'après ses souvenirs d'enfance, alors qu'il vend chez un soldeur des livres qu'il trouve superfétatoires et même indignes de sa bibliothèque, repère, parmi la file d'attente dans laquelle il a pris place, une jeune femme, la trentaine, qui ne le laisse pas indifférent. Il parvient à lui donner son numéro de téléphone en lui glissant qu'il aimerait la revoir. Elle appelle mais pose ses conditions pour leur revoyure. Ce ne sera que chez le soldeur; auparavant elle lui aura téléphoné en lui donnant un mot qui induira les livres qu'il devra apporter pour les vendre et dont elle en prélèvera un de son choix. Le mot en question, Enfant, Paris, promenade, cuisine permet à chaque fois à Michel Field de digresser parfois en incises envahissantes mais toujours plaisantes qui peuvent même s'éloigner de l'objet livre. Il y en a de savoureuses comme celle sur le rugby et quelques unes un peu vachardes dont je me suis régalées, sur la sociologie notamment.

<< Il y a toujours eu un petit coté prolétaire rayonnant devant le soleil couchant chez Bourdieu (…) En même temps il fallait bien reconnaître: le pitoyable destin des « bourdieuserie après lui, les jappement de ses chiens de garde, les éructation de ses héritiers autoproclamés avait instantanément fait regretter la disparition du maître qui lui, au moins, aurait sifflé ses caniches nains pour qu'ils rentrent à la niche, si toutefois il les avait laissés sortir!>>

Le soldeur n'est pas que plaisantes digressions sur l'amour des livres et ses contingences. Il contient aussi de touchantes anecdotes comme celle de ce vieil homme désargenté contraint de vendre à un soldeur ses livres tant aimé. Il est si abasourdi par la somme ridicule qu'on lui donne en échange qu'il préfère remettre dans son cabas ses vieux amis quitte à se priver de l'essentiel...

Ce roman est aussi le prétexte pour Field d'évoquer sa jeunesse à travers brochures et journaux. Il se souvient de brulots libertaires tel que les revues « Gulliver » ou « Tout », le journal fondé par Roland Castro dont le slogan était : Nous voulons tout tout de suite...

Le soldeur de Michel Field

Mais qui dit livres dit bibliothèque et l'on a droit à une sociologie savoureuse autour de ce meuble. Field fait un panégyrique inattendu de la bibliothèque Billy de la firme Ikéa pour laquelle je ne partage pas son fanatisme tout en reconnaissant qu'elle est parfaite pour les bandes-dessinées. Bandes-dessinées qui sont les grandes absente de la bibliothèque de l'auteur.

Michel Field n'oublie pas qu'il est philosophe et cet homme qui se penche sur son passé se penche aussi sur l'avenir du livre et de la place qu'il occupe dans la vie de chacun.

<< Les livres sont faits pour circuler, pour être donnés, prêtés. Volés, même. Il faut qu'ils passent de main en main, de corps en corps. Ils ne vivent qu'à l'acte de leur lecture. Un livre qu'on aime, c'est le visage de qui vous l'a conseillé, la voix de celui qui vous l'a offert. Le square où on s'est assis pour le commencer, le temps qu'il faisait ce matin là, peut-être même comment vous étiez habillé. C'est le souvenir vivace, dès les premières lignes, de la rencontre. Et, sitôt la lecture achevée, le désir de l'offrir à qui vous aimez. >>

Ce roman permet un jeu amusant et totalement inutile, celui de recenser les ouvrages que l'on a en commun avec l'auteur qui se livre dans son roman à name dropping littéraire effréné. Même si ma bibliothèque (prenez ce mot dans le sens des livres qui meublent ma maison et parfois y migrent) n'a pas l'étendue borgessienne de celle de Field (je fais un amalgame que ne crois pas abusif entre le narrateur et l'auteur), je suis surpris du nombre assez restreint de livres que nous avons en commun. Cela s'explique d'une part pour mon peu de goût et d'entendement pour la philosophie, je n'ai presque aucun volume de l'impressionnante nomenclature des ouvrages de philosophie que Field égrène dans son roman. Je n'ai guère dans sa liste qu'un imposant Sénèque et un mince Théocrite, si mince que je ne parviens pas à remettre la main dessus (comme je l'ai mentionné quelques fois, je suis persuadé que de temps en temps les bibliothèques dévorent quelques uns des volumes qu'elles recèlent.). Mais surtout parce qu'il est en définitive assez peu question de littérature dans ce roman. Tout du moins de littérature romanesque, de fiction, mis à part les romans policiers, les quelques autres qui sont cités comme les roman de Graham Greene proviennent de la bibliothèque de l'oncle du narrateur, l'évocation reconnaissante et émue de ce dernier est un des plus beaux passages du « Soldeur ».

A propos de sa litanie des romans policiers j'ai été ravi d'y voir mentionnée Joseph Hansen qui plus est pour plusieurs de ses roman dont mon préféré « Petit papa pourri ». Hansen n'est pas le seul auteur gay sur lequel Field s'attarde, il s'interroge également sur la destinée des oeuvres d'Yves Navarre que je suppute être beaucoup plus problématique que celle de l'inventeur de Dave Brandstetter, un des seuls héros gays du polar. 

Le soldeur de Michel Field

Si la plupart des livres qui peuplent la bibliothèque du narrateur ne sont pas des romans et que « la grande » littérature française ou étrangère est presque absente où sont les Céline, Proust, Pérec, Morand, Aragon, Conrad, Melville, Mishima, Mann... Ils ne sont pas négligeable pour autant mais ce sont ce que j'appellerais des ouvrages techniques. C'est à dire qu'ils sont construits autour d'un thème. La curiosité insatiable du héros fait que ceux-ci sont divers. Ainsi le narrateur énumère ses livres sur Paris, nous en avons plusieurs en commun tel « Le dictionnaire des rue de Paris d'Hilairet, curieusement paru aux éditions de Minuit, en lisant « Le soldeur » vous saurez pourquoi, ou « Le Belleville Ménilmontant de Willy Ronis, je ne saurais trop lui conseiller sur la capitale d'acquérir le « Paris XIX ème siècle, l'immeuble et la rue » de François Loyer plus classiquement édité par Hazan, sur la cuisine (on subodore vu la richesse des anecdotes à propos de ceux-ci que Michel Field est un gourmet), sur le sport et bien d'autre encore.

L'écriture si elle est sans trouvaille spectaculaire est agréable et sans aspérité. Une certaine hétérogénéité dans le style, ce qui n'est pas désagréable et rompt la monotonie de l'exploration de cette bibliothèque peut faire penser que le livre a été rédigé par étape et qu'un certain temps a séparé chaque moment de sa rédaction. Le début est si soigné, avec ses images bien venues qu'il fait un peu trop penser à la page d'écriture de nos dictées d'enfance auxquelles d'ailleurs l'auteur fait allusion.

Le soldeur de Michel Field

Le livre souffre d'être tiraillé entre plusieurs désirs de son auteur. D'abord celle de nous faire partager les livres de sa vie; un peu comme l'avait fait Frédéric Beigbeder avec « Premier bilan après l'apocalypse ». Mais si le livre de Field prend plus de hauteur avec son objet, il s'intéresse non seulement au contenu des volumes, mais à leur aspect, à leur typographie... il sera cependant moins prescripteur de lecture que celui de Beigbeder. Mais outre d'être donc une sorte de travelling sur une bibliothèque et par là sur la vie de son possesseur, « Le soldeur » se veut être aussi un roman, sur ce point ce n'est pas vraiment une réussite; même si par un habile subterfuge Field réussit à désamorcer, dans les toutes dernières pages, la plupart des critiques qu'on aurait pu lui faire, sur par exemple l'invraisemblance de son prétexte, sur son personnage féminin qui semble concentré tous les clichés de l'époque sur la banlieue et les étudiants issus de milieux défavorisés, comme on dit... Le livre se veut aussi une réflexion sur le temps et la place que peut occuper le livre dans la vie d'un homme. Avec cette interrogation qui taraude le narrateur: Le livre est il le moyen de s'ouvrir aux autres et au monde ou au contraire fait il écran à la vie concrète...

<< Se libère-t-on de soi quand on se libère des livres qui vous ont fait soi? Leur présence aide-t-elle à vivre, ou empêche-t-elle de vivre? Une bibliothèque est-elle une ouverture au monde ou une forteresse assiégée? Le livre un baptême ou une épitaphe?>>
<<En était-il des livres comme des êtres? Finissait -on par ne plus les voir dans le quotidien d'une trop grande proximité jusqu'à l'ultime fulgurance de la séparation.>>

Il reste à espérer pour l'auteur que cet amoureux des livres n'ait pas fait comme son personnage et n'ait pas accepter de démembrer sa bibliothèque en échange d'une hypothétique aventure féminine (et je conseille à mes lecteurs ne ne pas tomber dans un tel abîme, vous pouvez remplacer le dernier mot de mon texte par celui qui correspond le mieux à vos fantasmes).  


Viewing all articles
Browse latest Browse all 2558

Latest Images

Trending Articles





Latest Images